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Avec ce logotype nous pensons tenir deux formes fictives. La première serait le cercle qui semble contenir les lignes brisées, et la seconde, la ligne verticale qui paraît marquer un changement d'orientation entre les obliques situées à sa gauche et les horizontales placées à sa droite. Ces deux formes, le cercle et la verticale, posent pourtant problème à la conception habituelle que nous pouvons avoir des figures fictives.
À commencer par le cercle, nous devons bien admettre qu'il est bien rare que les surfaces noires soient placées à l'intérieur de la forme fictive. Celles-ci sont habituellement situées sur son pourtour afin de faire surgir le blanc fictif en avant. Comment pouvons-nous accepter ce cercle dans le champ des figures fictives ?
Kanizsa avait déjà envisagé cette situation en dessinant la figure 9.15 proposée à la page 226 de La Grammaire du voir. Le dessin présenté ci-dessous à gauche en est une variante, où je me suis contenté de remplacer les disques noirs et plats de l'original par des sphères. Avec cette image, nous avons le sentiment de regarder à travers un cadre décoré de sphères, un espace rempli de volumes lointains. Pourtant, le cadre rectangulaire perçu, est totalement illusoire, et, avec lui, nous retrouvons les trois caractéristiques habituelles des figures fictives :
1) Le rectangle ne possède pas de contours matériels.
2) Il semble s'enfoncer dans la profondeur du support (au lieu, il est vrai, de surgir )
3) Enfin, le blanc de la surface centrale semble plus foncé que celui de la bordure (au lieu, là encore, de paraître plus clair).
Il en va exactement de même avec ce logotype, si ce n'est que nous avons beaucoup plus de mal à y voir de la profondeur. En un premier temps, le cercle, bien que dépourvu de tracé réel, s'impose à nous. Puis, en forçant notre attention, nous avons le sentiment d'observer à travers un oeilleton, découpé dans la surface du papier, l'angle d'une pièce couverte de rayures horizontales. Enfin, le blanc situé entre les lignes brisées paraît plus foncé que le blanc du papier à la surface duquel elles ont pourtant été dessinées. Nous avons donc bien un bel et bon cercle fictif.
 

DecaAr3KaniParalleles

La ligne verticale pose, elle-aussi, problème, car son tracé semble déroger aux lois des figures fictives. Ainsi, nulle surface noire (tels les trois pacman du Triangle de Kanizsa) ne vient borner la forme fictive. De même, que rien ne surgit en avant (ou même en arrière, comme pour le cercle) de la matérialité des lignes noires. Cette situation peut s'expliquer par le fait que nous sommes en présence d'un contour subjectif, au lieu d'être confronté à une forme fictive présentant une surface délimitée. Nous allons donc revenir, encore une fois, au grand Kanizsa pour saisir cette différence. La figure 10.13 de la page 243 du livre déjà cité propose un bel exemple de contour illusoire (ci-dessus à droite). Le premier élément qui conforte l'assimilation de cette image aux figures fictives est que la ligne courbe perçue est totalement inventée. Le second veut que cette ligne, qui découpe l'image en deux plans, fasse surgir en avant une des moitiés de l'image. Mais ici, à la différence des figures les plus connues, l'échelonnement des plans peut être inversé selon notre bon vouloir ! Enfin, si nous avons bien un contour fictif et une profondeur imaginaire, il semble (mais cela reste à étudier de manière plus fine) que nous ayons perdu l'illusion d'un blanc plus blanc que l'autre. Pire, cette luminosité illusoire devrait s'inverser afin de s'adapter à la moitié de l'image que nous avons choisie comme étant au premier plan. Cette figure présente donc des variations inédites, mais le thème général inchangé. Car quelque chose reste constant : ce que Kanizsa dénomme complétion amodale et que la Gestalt appelait principe de colinéarité. Pour cela revenons au logotype.
L'alignement matériel de tous ces angles le long d'un même tracé veut que nous ne pouvons nous empêcher de relier toutes les bifurcations de lignes par une verticale imaginaire. Ainsi, l'alignement plastique induit une colinéarité visuelle, qui, ensuite, va nous amener à un sentiment de profondeur. Un même dessin, où les angles suivraient un trajet sinueux, sans continuité logique, anéantirait toute cette belle construction spatiale. Nous n'aurions plus alors que des lignes brisées, dispersées à la surface du papier. L'alignement permet de transformer des obliques frontales en lignes de dirigeant vers un point de fuite perspectif. Mais, pour ce faire, force est de reconnaître que l'alignement ne suffit pas à la tâche, puisque nous pourrions imaginer des lignes rayonnantes en lieu et place des fuyantes. Et c'est là qu'interviennent les diminutions d'épaisseur régulières et régulées des obliques. Ce nouvel indice nous fait passer du rayonnement plan au tracé perspectif fuyant.

Voilà, nous croyons en avoir fini, et pourtant, quelque chose m'empêche de conclure. Pratiquant assidu des figures ambiguës, je sais que ces dernières utilisent l'alignement plastique pour aplatir l'espace de la représentation ou, pire encore, notre perception de la profondeur du réel. Et, ce maudit logotype vient proposer un exemple contraire : l'alignement instaure la profondeur, là où nous n'avons que platitude. En son absence, nous n'aurions, comme il a déjà été dit, que lignes brisées, disséminées dans un plan frontal. Pour preuve de ce que je continue pourtant à soutenir, je me contente de vous renvoyer à des photos du réel où l'alignement aplatit la représentation :
http://figuresambigues.free.fr/SommairesJeux/jeuphotos.html
Quant à savoir la raison pour laquelle, l'alignement plastique jouerait un rôle différent dans le champ des figures fictives, soit je ne l'ai jamais sue, soit je l'ai oubliée, cachée qu'elle est à la rubrique
Théorie du site auquel je vous renvoie.

ADDENDUM

Habituellement, avec les figures fictives classiques, ce sont les continuités de lignes (par exemple l'alignement des angles des trois Pacman du
Triangle de Kanizsa) qui permettent le surgissement d'une forme fictive. Mais, que ce soit dans la courbe de Kanizsa (ci-dessus) ou dans le logotype Entrevue, un écart est à noter. Seules les extrémités des lignes sont utilisées pour aboutir à un plan fictif, et en cela nous devrions plutôt parler de segments. Mais qu'en est-il alors de leur longueur et de leur trajet ? Ceux-ci sont considérés par notre système perceptif comme des textures ou des gradients de densité. Ainsi, les parallèles de la figure de Kanizsa se contentent de remplir et indiquer des plans frontaux, tandis que les obliques du logotype signifient, tant par leur convergence que par leur diminution d'épaisseur, un plan fuyant.

ENTREPRISE : Entrevue
GRAPHISME : ???

 

 

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