Vitali1158
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VOIR L'ORIGINAL DANS UNE NOUVELLE FENÊTRE : PAS TROUVÉ

Deux objets et trois surfaces de peinture pour les accueillir. Malgré la simplicité du propos, nous pouvons, cherchant un peu, trouver un contour fictif. En dépit de la douceur du tracé, en dépit de l'omniprésence de courbes offrant une vue plongeante sur cette nature morte, en dépit de leur appareillement. incohérent (la courbe du pied du bol qui, étant la plus basse, devrait être la plus prononcée, apparaît horizontale), en dépit de tout cela, une courbe manque et tout est dépeuplé. Car, la plus aberrante des courbes est celle qui n'a pas été représentée. Si nous avons bien un aperçu de l'intérieur du bol, nous n'avons aucune information sur celui de la boite verdâtre. Son bord supérieur étant concave, nous devrions apercevoir au-dessus la surface convexe représentant soit la partie intérieure visible du cylindre, soit le couvercle qui la recouvre et la clôt. Il est vrai que Morandi est coutumier de ces disparitions. Il lui suffit d'appliquer un même coloris à la partie d'un objet et au fond qui le borde, pour que cette surface attendue et nécessaire disparaisse à tout jamais de notre regard sans que notre cerveau puisse se contenter de cette absence injustifiée. Cézanne était déjà passé par là, mais pas encore Gaetano Kanizsa.
Mais pouvons-nous véritablement parler de figure fictive ? En principe non. Pour organiser les disparitions que nous allons voir, Morandi utilise plusieurs procédés. En premier lieu, ces disparitions sont toujours partielles, à la différence du Triangle de Kanizsa dont aucun contour n'est réel, ici le bord concave du sommet du cylindre est matérialisé. En second lieu, il joue, non pas tant sur l'absence de contours que sur l'identité de tons de surfaces contiguës. La couleur du sommet du cylindre étant la même que celle du plateau de la table. En cela, nous devrions ranger cette image dans la catégorie des figures par camouflage, qui, en essayant d'employer les mêmes tons pour la forme à cacher et son environnement (le fond de l'image), procèdent de même. Mais le problème est plus complexe, alors qu'une ambiguïté de contact équivoque du fond (comme l'Étoile présentée ci-dessous à droite) arrive à noyer totalement la forme camouflée (mais en ce cas précis par la répétition des formes plutôt que par l'identité des tons), notre première réaction sera de recréer le contour manquant à partir du contour présent.

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Pour cette raison, je préfère parler de figures semi-fictives, tels les deux exemples personnels présentés ci-dessous. Dans ces deux exemples, une partie du tracé ou du volume est déjà donnée. Ainsi, en laissant jouer le principe de colinéarité gravé sur le disque dur de son cerveau, le regardeur reconstitue sans effort apparent et de manière quasi involontaire les parties manquantes.

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Il n'en reste pas moins que nous perdons là deux caractéristiques primordiales des figures fictives. En premier, lieu, en ce qui concerne surtout la toile de
Morandi, le ton de l'intérieur du cylindre ne paraît pas plus clair ou plus intense que celui de la table. En second lieu, la partie reconstruite par le principe de colinéarité ne semble pas surgir en avant du fond de l'image, comme le fait le Triangle de Kanizsa. L'explication de cet écart est simple : les détails manquants de ces formes demi-fictives sont retenus à la surface de la toile ou du papier par les parties représentées.
En cela, nous ne sommes pas dans l'impossible du
Triangle de Kanizsa (dont la surface du triangle est une hallucination dépourvue de toute matérialité), et n'avons pas à considérer ces toiles de Morandi comme des alignements incohérents du fond de l'image, mais à les entendre comme des ambiguïtés relevant de contacts équivoques du fond de l'image.


Références :
Nature morte, 1959, huile sur toile, 25x35 cm, Vitali n°1158.
Peinture visible à :

Collection particulière, Suisse.
Image reproduite dans :
Morandi dans l'écart du réel, Catalogue d'exposition, Musée d'Art moderne de la Ville de Paris, 5 octobre 2001 -6 janvier 2002, Éditions des musées de la ville de Paris, 2001, p.101.

 

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