THÉORIE 1 |
"QU'EST-CE QU'UNE FICTIVE ?" |
|||||
Le Triangle de Kanizsa (Lien hors-site) est certainement la figure fictive la plus connue qui soit. Mais, cette figure, ne pouvant être reproduite pour des raisons de droits dauteur, sera remplacée par une variante de loriginal que nous appellerons : le Trapèze dit de Kanizsa. Bien que relevant du plagiat le plus éhonté qui soit, ce croquis est à comprendre comme un hommage rendu au psychologue décédé. Vous ne serez donc pas étonné si le texte ségare parfois en faisant référence à trois disques et trois angles alors que la figure qui lillustre en possède quatre. Cet écart sexplique par le passage du Triangle de Kanizsa au Trapèze postiche, fantoche et posthume.
DÉFINITIONS 1) DES ILLUSIONS En simplifiant, nous dirons quil y a les illusions optico-géométriques (illusion de Muller-Lyer), les figures ambiguës et les figures impossibles. Après bien des tergiversations (voir les trois analyses du Triangle de Kanizsa sous cette même rubrique), jen arrive à penser aujourdhui que les figures fictives font partie des figures ambiguës. Nous sommes bien devant une alternative, puisque quelquun de non prévenu ne verrait peut être pas la forme du trapèze fictif, tandis que celui qui connaît ces figures le repère immédiatement. Dun autre coté, une fois ce trapèze perçu il est bien difficile de revenir à une image aux formes noires. Ce qui fait que la réversibilité de lecture des figures fictives nest pas aussi évidente que celle du Vase de Rubin ou du Cube de Necker. La comparaison avec ces deux figures peut pourtant expliquer lécart des réversibilités. Alors que le Cube est une ambiguïté de la figure (le fond de l'image est un espace neutre, qui ninfère aucunement sur lillusion), le Vase relève des ambiguïtés de la figure et du fond (nous devons échanger la position de la figure et du fond pour que la coupe et les profils se succèdent) et le Trapèze serait une ambiguïté du fond (nous extirpons la forme fictive du fond de limage, la figure se contentant de contenir son tracé illusoire). Il est vrai que les autres ambiguïtés du fond (les figures par camouflage) posent les mêmes problèmes de réversibilité. Seule différence notable : alors que la figure fictive surgit du fond pour simposer un jour ou lautre à nous, la figure camouflée cherche au contraire à sy perdre. Mais nous dirons, pour en finir, que ce sont là les deux faces dun même propos, dune même configuration, dun même mécanisme. 2) DES FIGURES FICTIVES Autrement dit, vous croyez voir un trapèze bien que ce dernier nait aucune existence matérielle. Certains, surpris par cette affirmation insensée, rétorqueront que les angles du trapèze sont pourtant visibles. Il leur sera répondu que ces contours là appartiennent aux camemberts entamés. Lerreur à ne pas commettre serait en effet de prendre ces camemberts pour des disques complets recouverts par un trapèze blanc. Cette affirmation là serait, quant à elle, véritablement insensée puisque ce trapèze nexiste pas. Ainsi, en labsence de contours et de surface, vous nen voyez pas moins surgir une forme du papier que vous avez sous les yeux. Bien que Gaetano Kanizsa considère que quatre éléments soient nécessaires à la définition des figures fictives (voir plus loin), dun point de vue plastique et pour la simplicité du propos, nous nen conserverons que trois. Trois caractéristiques permettent ainsi de savoir si nous sommes bien en présence dune figure fictive. 3) LES TROIS CARACTÈRES En second lieu, la surface de la forme fictive doit vous apparaître plus lumineuse que la surface du support. Ainsi, sur un papier blanc (je nai pas vérifié si lillusion était aussi forte sur un écran, la luminosité de lécran pouvant interférer avec celle de lillusion), le blanc du trapèze apparaît plus blanc que le blanc de la feuille. Bien que les conditions de stimulation soient parfaitement identiques (ce qui peut être mesuré par un laboratoire de psychophysique), vous voyez une surface différente. Pour vous convaincre du contraire, il suffit de masquer de la main les formes noires dessinées sur le papier et constater ainsi que ce dernier na changé ni de couleur, ni de luminosité. En troisième lieu, la figure fictive surgit en avant des formes dessinées. Ainsi, bien que les figures fictives habituelles nemploient que des surfaces planes, une troisième dimension est ébauchée. Il est vrai quun recouvrement suffit en général à signifier léchelonnement des plans. Mais, les fictives ne se contentent pas de recouvrir (comme une feuille de papier peut recouvrir la table), qui, parfois (et en tous cas pour moi), semblent flotter en avant des formes noires, dans un espace incertain. Ceux qui ne verraient pas les choses ainsi, ou qui estimeraient que cette chose là est impossible, devraient cliquer sur les liens qui suivent. Vous verrez alors que la forme fictive peut apparaître largement en avant des formes qui la supportent : Croquis 7b, et parfois, mais plus rarement, en arrière : Croquis 16c (le grand carré fictif est situé en arrière des quatre petits cubes). Cette forme peut encore suivre des trajectoires fuyantes : Croquis 10d, obliques : Croquis 8d, sétager dans la hauteur de lespace : Croquis 15c, pour en arriver enfin à transpercer les formes dessinées : Croquis 17c. Comme vous lavez sans doute compris, la profondeur est, pour un dessinateur comme moi, la caractéristique essentielle des figures fictives. Ainsi, tous les croquis publiés sur ce site traite, dune manière ou dune autre, des relations spatiales qui se tissent entre la figure fictive et les formes dessinées qui la supportent et la fondent. HISTORIQUE 1) LE CARRÉ DE SCHUMANN
2) LE TRIANGLE DE KANIZSA Voici comment Gaetano Kanizsa décrit le Triangle dans son livre La grammaire du voir (Diderot, coll. Pratique des sciences, Paris, 1997) : N'importe quelle personne non avertie décrit cette figure comme constituée dun triangle blanc opaque recouvrant partiellement trois disques noirs et un autre triangle blanc délimité par un contour noir. En réalité, dun point de vue strictement géométrique, cest à dire dans la réalité physique, la description devrait être très différente : il sagit de trois portions de disques noirs et de trois angles disposés lun par rapport à lautre suivant un agencement particulier, et rien de plus. Il ne correspond au triangle blanc apparent aucun objet physique. Et pourtant, sa présence phénoménale a un caractère tellement puissant, que, dans des conditions optimales déclairage, nombreux sont ceux qui ont limpression de le voir collé sur la feuille. Il semble en effet situé devant les autres figures, dans un premier plan, et sa couleur blanche semble plus intense et plus dense que celle, objectivement absolument identique, du fond. Il faut encore remarquer que son contour est partout clairement visible, y compris aux endroits (les plus fréquents) où il ny a aucune différence de stimulation entre le triangle et le fond.(p. 3). Mais si des lignes et des surfaces noires donnent bien le sentiment dêtre en partie masquées par une figure blanche, nous devons encore percevoir la configuration de la forme qui les recouvre. Pour cela, nous devons en passer par un autre principe, le principe de fermeture ou de clôture, hérité de la psychologie de la Gestalt. Ce principe exprime la tendance du système perceptif à rejoindre, fermer ou clore des éléments afin dorganiser le champ perceptif en unités. Pour Kanizsa, la fermeture est à lorigine des figures fictives : Cest à ce facteur que lon doit probablement lémergence du triangle blanc, avec comme conséquence la formation de bords quasi-perceptifs qui ne correspondent à aucun saut ou inhomogénéité dans la stimulation. Cest la tendance des trois lignes formant les angles à se fermer en un triangle et des trois secteurs circulaires à se compléter en trois disques noirs qui rend nécessaire lapparition du triangle blanc, derrière lequel les complétions de type amodal peuvent avoir lieu. (p. 29). Enfin, comme Kanizsa lannonce déjà, le principe de fermeture induit lapparition de contours illusoires. Ces contours sont dits sans gradient (ou anomaux, fictifs, subjectifs, illusoires...), en ce quils sont perçus en labsence des conditions qui sont habituellement à lorigine de lapparition des contours visuels : une discontinuité de luminosité ou de tonalité. En cela, une complétion est encore nécessaire pour en arriver au sentiment quun triangle blanc est bien présent. Mais cette seconde complétion est dite modale en ce quelle obéit à un autre mode de fonctionnement pour sappliquer aux bords de la forme fictive blanche. Ainsi, Kanizsa écrit ...dans la formation des surfaces et des contours anomaux. Dans tous ces cas la complétion est modale, cest à dire que les parties interpolées ont les caractéristiques de la modalité visuelle et sont phénoménalement indistinguables de celles qui ont une contrepartie dans la stimulation. (p. 59). La complétion modale est plus proche dune mécanique visuelle que des processus cognitifs de la complétion amodale, qui se chargeait, quant à elle, de compléter des disques et des angles supposés et surtout pensés. Voilà, nous en avons terminé avec les grands principes. Les psychologues de la perception voudront bien excuser les absurdités que jai pu proférées, ma pratique de dessinateur ne me laissant pas le temps dapprofondir une théorie, qui à vrai dire me dépasse. Mais que le lecteur se rassure, lanalyse des différents croquis du carnet se lit facilement en ce quelle relève du domaine plastique et ne demande pas de connaissance particulière. |
||||||