Verve
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Cette deuxième lettre posera, je l'espère, moins de problèmes à la théorie que la précédente. Ce logotype utilise un effet bien connu des spécialistes des figures fictives : les tenants de la Gestalt évoqueront la colinéarité, tandis que Gaetano Kanizsa parlera de complétion amodale (voir Biblio Kanizsa, p.39 et 246). Mais, d'un point de vue photographique, le résultat obtenu et la méthode employée pourraient tout autant être qualifiés de surexposition. Ainsi, dans cette lumière écrue, grâce à un éclairage brutal, le volume du V semble se dissoudre dans le blanc lumineux de l'espace.
Le problème, car il y a toujours un problème avec les figures fictives, est que notre système perceptif, se permet de reconstituer la totalité du volume à l'aide d'un indice infinitésimal : l'angle ouvert, qui, conjoint à la base frontale du V, esquisse l'ébauche de la profondeur illusoire de son volume. Ce minuscule angle noir est donc le seul indice concret, le seul tracé matériel qui nous autorise à inventer la totalité des contours et des surfaces fictives de la totalité de ce volume à deux branches. Si le
Triangle de Kanizsa économisait déjà les tracés graphiques, nous atteignons ici le comble de la pingrerie. Au point que nous sommes amenés à nous demander si la loi de colinéarité peut, à elle-seule, expliquer cette fiction de volume. Kanizsa avait compris qu'un bon surgissement de la forme fictive nécessitait la mise en évidence des changements de direction (ses trois camemberts entamés que certains voient comme des disques pleins mais recouverts), mais aussi un rappel minimum des lignes droites (d'où les trois angles linéaires que d'aucuns prennent pour un grand triangle masqué).

TrapezeKFigureB

Car pour qu'il y ait colinéarité, nous avons besoin d'un point de départ et d'un point d'arrivée. Ce qui est tout autant le cas de la forme fictive du Trapèze présenté ci-dessus que des tracés matériels noirs qui le font surgir du néant. Ainsi, du coté de la fiction, chaque angle du trapèze illusoire part bien d'un "Pacman" pour venir buter contre un autre "Pacman". De même que du coté graphique, chaque angle linéaire représente bien le point de départ ou d'arrivée des trois cotés d'un supposé triangle noir inversé, ou que les pointes des Pacman symbolisent bien le point de départ ou d'arrivée des arcs masqués de disques supposés entiers. Le problème est que le V propose une ébauche de volume à peine esquissée, sans que le moindre tracé graphique ne vienne ensuite confirmer cette surprenante et incongrue hypothèse de départ.
Un autre principe de la
Gestalt pourrait être appelé à la rescousse pour expliquer cette inimaginable reconstruction imaginaire : la loi de similarité. Ce principe, qui tend à regrouper en un ensemble commun des éléments possédant des propriétés identiques (taille, couleur, direction,..), nous inciterait, en une utilisation dévoyée, à inventer un réseau de parallèles épousant le tracé de la façade à la distance indiquée par l'ébauche de profondeur présente à la base de la lettre. Ce réseau permettrait ainsi d'imaginer la profondeur des poutres du V en même temps que leurs changements successifs d'orientation. Voilà, nous avons trouvé une solution pour expliquer l'inexplicable. Mais un dernier remords m'étreint : n'aurais-je pas oublié quelque chose ?
Revenons à l'esquisse de profondeur à la base du V. Nous savons que la loi de similarité nécessite, comme son nom l'indique et pour sa bonne application, des éléments similaires. Il se trouve que les deux contours noirs qui s'élèvent en oblique vers la gauche afin d'ébaucher la profondeur du V ne semblent pas parallèles. Toute la belle théorie de la similarité devrait alors s'effondrer, si ce n'est que, ultime rebondissement, cette convergence n'est qu'illusoire. J'ai bien vérifié, et, sur le papier, ces deux lignes qui me semblent congruentes sont réellement équidistantes ! Je vais donc arrêter là et ne chercherais pas à expliquer cette nouvelle illusion dont la présence, qui devrait tout remettre en cause, ne remet rien en question.
Je renonce, j'abandonne,...

NOTA-BENE
Avec ce logotype, deux extractions sont nécessaires. Si, nous devons faire surgir du blanc du papier, le blanc surexposé du volume de la lettre, nous avons encore à extraire sa base du socle ovale sur lequel elle repose. Et, comme de bien entendu, tout cela se fait naturellement sans que je sois capable de vous expliquer le moins du monde ce phénomène. Seul indice certain : si la barre droite du V n'avait pas de profondeur, nous devrions apercevoir le sommet du socle noir entre les "cuisses" de la lettre.

 

ENTREPRISE : Verve, label discographique.
GRAPHISME : Mark Ford.

 


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